Chypre, sauvetage sous haute tension

G.O.P. Opposition to Immigration Law Is Falling Away2013-03-20 Longitude -0.360578 Latitude 49.168919 Altitude 29 Heure 14h34

À la recherche du temps perdu

(Et je remarquai, comme cela m’avait souvent frappé dans ses conversations avec les sœurs de ma grand’mère, que quand il parlait de choses sérieuses, quand il employait une expression qui semblait impliquer une opinion sur un sujet important, il avait soin de l’isoler dans une intonation spéciale, machinale et ironique, comme s’il l’avait mise entre guillemets, semblant ne pas vouloir la prendre à son compte, et dire : « la hiérarchie, vous savez, comme disent les gens ridicules » ? Mais alors, si c’était ridicule, pourquoi disait-il la hiérarchie ?). Un instant après il ajouta : « Cela vous donnera une vision aussi noble que n’importe quel chef-d’œuvre, je ne sais pas moi… que – et il se mit à rire – les Reines de Chartres ! » Jusque-là cette horreur d’exprimer sérieusement son opinion m’avait paru quelque chose qui devait être élégant et parisien et qui s’opposait au dogmatisme provincial des sœurs de ma grand’mère ; et je soupçonnais aussi que c’était une des formes de l’esprit dans la coterie où vivait Swann et où par réaction sur le lyrisme des générations antérieures on réhabilitait à l’excès les petits faits précis, réputés vulgaires autrefois, et on proscrivait les « phrases ». Mais maintenant je trouvais quelque chose de choquant dans cette attitude de Swann en face des choses. Il avait l’air de ne pas oser avoir une opinion et de n’être tranquille que quand il pouvait donner méticuleusement des renseignements précis. Mais il ne se rendait donc pas compte que c’était professer l’opinion, postuler que l’exactitude de ces détails avait de l’importance. Je repensai alors à ce dîner où j’étais si triste parce que maman ne devait pas monter dans ma chambre et où il avait dit que les bals chez la princesse de Léon n’avaient aucune importance. Mais c’était pourtant à ce genre de plaisirs qu’il employait sa vie. Je trouvais tout cela contradictoire. Pour quelle autre vie réservait-il de dire enfin sérieusement ce qu’il pensait des choses, de formuler des jugements qu’il pût ne pas mettre entre guillemets, et de ne plus se livrer avec une politesse pointilleuse à des occupations dont il professait en même temps qu’elles sont ridicules ? Je remarquai aussi dans la façon dont Swann me parla de Bergotte quelque chose qui en revanche ne lui était pas particulier, mais au contraire était dans ce temps-là commun à tous les admirateurs de l’écrivain, à l’amie de ma mère, au docteur du Boulbon. Comme Swann, ils disaient de Bergotte : « C’est un charmant esprit, si particulier, il a une façon à lui de dire les choses un peu cherchée, mais si agréable. On n’a pas besoin de voir la signature, on reconnaît tout de suite que c’est de lui. » Mais aucun n’aurait été jusqu’à dire : « C’est un grand écrivain, il a un grand talent. » Ils ne disaient même pas qu’il avait du talent. Ils ne le disaient pas parce qu’ils ne le savaient pas. Nous sommes très longs à reconnaître dans la physionomie particulière d’un nouvel écrivain le modèle qui porte le nom de « grand talent » dans notre musée des idées générales. Justement parce que cette physionomie est nouvelle, nous ne la trouvons pas tout à fait ressemblante à ce que nous appelons talent. Nous disons plutôt originalité, charme, délicatesse, force ; et puis un jour nous nous rendons compte que c’est justement tout cela le talent.