Déficit : Bruxelles va accorder deux ans de délai à la France

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À la recherche du temps perdu

S’il était assez simple d’aller du côté de Méséglise, c’était une autre affaire d’aller du côté de Guermantes, car la promenade était longue et l’on voulait être sûr du temps qu’il ferait. Quand on semblait entrer dans une série de beaux jours ; quand Françoise désespérée qu’il ne tombât pas une goutte d’eau pour les « pauvres récoltes », et ne voyant que de rares nuages blancs nageant à la surface calme et bleue du ciel s’écriait en gémissant : « Ne dirait-on pas qu’on voit ni plus ni moins des chiens de mer qui jouent en montrant là-haut leurs museaux ? Ah ! ils pensent bien à faire pleuvoir pour les pauvres laboureurs ! Et puis quand les blés seront poussés, alors la pluie se mettra à tomber tout à petit patapon, sans discontinuer, sans plus savoir sur quoi elle tombe que si c’était sur la mer » ; quand mon père avait reçu invariablement les mêmes réponses favorables du jardinier et du baromètre, alors on disait au dîner : « Demain s’il fait le même temps, nous irons du côté de Guermantes. » On partait tout de suite après déjeuner par la petite porte du jardin et on tombait dans la rue des Perchamps, étroite et formant un angle aigu, remplie de graminées au milieu desquelles deux ou trois guêpes passaient la journée à herboriser, aussi bizarre que son nom d’où me semblaient dériver ses particularités curieuses et sa personnalité revêche, et qu’on chercherait en vain dans le Combray d’aujourd’hui où sur son tracé ancien s’élève l’école. Mais ma rêverie (semblable à ces architectes élèves de Viollet-le-Duc, qui, croyant retrouver sous un jubé Renaissance et un autel du XVIIe siècle les traces d’un chœur roman, remettent tout l’édifice dans l’état où il devait être au VIIe siècle) ne laisse pas une pierre du bâtiment nouveau, reperce et « restitue » la rue des Perchamps. Elle a d’ailleurs pour ces reconstitutions des données plus précises que n’en ont généralement les restaurateurs : quelques images conservées par ma mémoire, les dernières peut-être qui existent encore actuellement, et destinées à être bientôt anéanties, de ce qu’était le Combray du temps de mon enfance ; et parce que c’est lui-même qui les a tracées en moi avant de disparaître, émouvantes – si on peut comparer un obscur portrait à ces effigies glorieuses dont ma grand’mère aimait à me donner des reproductions – comme ces gravures anciennes de la Cène ou ce tableau de Gentile Bellini, dans lesquels l’on voit en un état qui n’existe plus aujourd’hui le chef-d’œuvre de Vinci et le portail de Saint-Marc.
On passait, rue de l’Oiseau, devant la vieille hôtellerie de l’Oiseau flesché dans la grande cour de laquelle entrèrent quelquefois au XVIIe siècle les carrosses des duchesses de Montpensier, de Guermantes et de Montmorency, quand elles avaient à venir à Combray pour quelque contestation avec leurs fermiers, pour une question d’hommage. On gagnait le mail entre les arbres duquel apparaissait le clocher de Saint-Hilaire. Et j’aurais voulu pouvoir m’asseoir là et rester toute la journée à lire en écoutant les cloches ; car il faisait si beau et si tranquille que, quand sonnait l’heure, on aurait dit non qu’elle rompait le calme du jour, mais qu’elle le débarrassait de ce qu’il contenait et que le clocher, avec l’exactitude indolente et soigneuse d’une personne qui n’a rien d’autre à faire, venait seulement – pour exprimer et laisser tomber les quelques gouttes d’or que la chaleur y avait lentement et naturellement amassées – de presser, au moment voulu, la plénitude du silence.