Les chômeurs de l’Europe du Sud, nouveaux immigrés

As Cuts Arrive, Parties Pledge to Call Off the Budget Wars2013-03-02 Longitude -0.371 Latitude 49.182 Altitude 13 Heure 11h52

À la recherche du temps perdu

J’éprouvais une petite déception, car cette jeune dame ne différait pas des autres jolies femmes que j’avais vues quelquefois dans ma famille, notamment de la fille d’un de nos cousins chez lequel j’allais tous les ans le premier janvier. Mieux habillée seulement, l’amie de mon oncle avait le même regard vif et bon, elle avait l’air aussi franc et aimant. Je ne lui trouvais rien de l’aspect théâtral que j’admirais dans les photographies d’actrices, ni de l’expression diabolique qui eût été en rapport avec la vie qu’elle devait mener. J’avais peine à croire que ce fût une cocotte et surtout je n’aurais pas cru que ce fût une cocotte chic si je n’avais pas vu la voiture à deux chevaux, la robe rose, le collier de perles, si je n’avais pas su que mon oncle n’en connaissait que de la plus haute volée. Mais je me demandais comment le millionnaire qui lui donnait sa voiture et son hôtel et ses bijoux pouvait avoir du plaisir à manger sa fortune pour une personne qui avait l’air si simple et comme il faut. Et pourtant, en pensant à ce que devait être sa vie, l’immoralité m’en troublait peut-être plus que si elle avait été concrétisée devant moi en une apparence spéciale – d’être ainsi invisible comme le secret de quelque roman, de quelque scandale qui avait fait sortir de chez ses parents bourgeois et voué à tout le monde, qui avait fait épanouir en beauté et haussé jusqu’au demi-monde et à la notoriété, celle que ses jeux de physionomie, ses intonations de voix, pareils à tant d’autres que je connaissais déjà, me faisaient malgré moi considérer comme une jeune fille de bonne famille, qui n’était plus d’aucune famille.
On était passé dans le « cabinet de travail », et mon oncle, d’un air un peu gêné par ma présence, lui offrit des cigarettes.
– Non, dit-elle, cher, vous savez que je suis habituée à celles que le grand-duc m’envoie. Je lui ai dit que vous en étiez jaloux. Et elle tira d’un étui des cigarettes couvertes d’inscriptions étrangères et dorées. « Mais si, reprit-elle tout d’un coup, je dois avoir rencontré chez vous le père de ce jeune homme. N’est-ce pas votre neveu ? Comment ai-je pu l’oublier ? Il a été tellement bon, tellement exquis pour moi », dit-elle d’un air modeste et sensible. Mais en pensant à ce qu’avait pu être l’accueil rude, qu’elle disait avoir trouvé exquis, de mon père, moi qui connaissais sa réserve et sa froideur, j’étais gêné, comme par une indélicatesse qu’il aurait commise, de cette inégalité entre la reconnaissance excessive qui lui était accordée et son amabilité insuffisante. Il m’a semblé plus tard que c’était un des côtés touchants du rôle de ces femmes oisives et studieuses, qu’elles consacrent leur générosité, leur talent, un rêve disponible de beauté sentimentale – car, comme les artistes, elles ne le réalisent pas, ne le font pas entrer dans le cadre de l’existence commune – et un or qui leur coûte peu, à enrichir d’un sertissage précieux et fin la vie fruste et mal dégrossie des hommes. Comme celle-ci, dans le fumoir où mon oncle était en vareuse pour la recevoir, répandait son corps si doux, sa robe de soie rose, ses perles, l’élégance qui émane de l’amitié d’un grand-duc, de même elle avait pris quelque propos insignifiant de mon père, elle l’avait travaillé avec délicatesse, lui avait donné un tour, une appellation précieuse et y enchâssant un de ses regards d’une si belle eau, nuancé d’humilité et de gratitude, elle le rendait changé en un bijou artiste, en quelque chose de « tout à fait exquis ».